• Avec le concours et l’engagement des Fondations Edmond de Rothschild
  • Étienne Dolet qui salue humblement ses meilleurs et principaux amis

    Je sais, mes amis, que la nature humaine est telle (hormis chez quelques-uns, peu nombreux, qui ne s’en laissent pas compter à la légère) que dès qu’un individu est victime d’une quelconque malchance ou malheur, on suppose que c’est sa faute plutôt que la méchanceté d’autrui. C’est pourquoi j’ai voulu faire publier ces petits textes de ma main, dans le but de prouver mon innocence s’agissant de mon dernier séjour en prison : afin que, si vous aviez été mal informés de mon affaire – et me pensiez coupable alors que je suis totalement innocent –, vous rejetiez cette opinion fausse et reconnaissiez que c’est à tort et sans raison (je m’en remets toutefois à Dieu et le supplie humblement qu’il me préserve de murmurer contre sa sainte volonté) que je souffre et suis malheureux.
    En lisant les textes qui suivent, vous comprendrez donc mon innocence et regretterez que je dépérisse, sous le coup de misères si injustes. D’ailleurs, si vous trouvez étrange que ce petit texte soit intitulé Mon Second Enfer, vu que je n’en ai pas publié de premier, je vous informe que ce titre correspond bien à un second volume : le premier circulerait déjà si je n’avais pas été victime de ce malheur dernièrement. Mais le temps viendra où il sera lui aussi publié. Pour l’heure, je me contente de vous montrer que c’est parce que je suis victime d’un malheur, et non pour avoir commis un délit ou un crime, que je souffre. Une fois que vous serez persuadé de cela (ce qui ne manquera pas de se produire), les difficultés qui sont les miennes,
    si éprouvantes, seront deux fois moindres ; et pour me réconforter, je relirai tous les jours les témoignages de regrets que vous prodiguerez, mes amis, à votre ami dans l’infortune. Lequel à présent se recommande bien affectueusement à vous tous, et prie Dieu de vous avoir en sa sainte garde.
    Écrit en ce bas monde, le premier jour de mai, l’an de la rédemption mille cinq cent quarante-quatre.

    Estienne Dolet, à ses meilleurs, & principaulx Amys, humble Salut.

    Ie scay, mes Amys, que le naturel de l’homme, est tel (hors mys bien peu, qui ne croyent à la legiere) que tout soubdain, qu’ung personnage tombe en quelcque infortune & calamité, on presume plus tost cela venir de sa faulte, que par la meschanceté d’aultruy. Qui est la cause que i’ay voulu faire publier ces myennes petites compositions, dressées sur la probation de mon innocence, touchant mon dernier emprisonnement : affin que si auez esté mal informés par cy deuant de mon affaire (m’attribuantz coulpe ou ie suis totalement sans coulpe), vous reiectiez vostre opinion mauluaise : & congnoissiez qu’à tort, & sans cause (toutesfoys en cela ie me remects à Dieu : & le requiers humblement, qu’il me garde de murmurer contre sa saincte voulunté), ie suys en peine & fascherie. Lisant doncq’ les compositions qui s’ensuyuent, vous entendrez mon innocence, & aurez regret que ie languisse en telle misere non méritée. Au demeurant, si vous trouuez estrange que ce present opuscule soit intitulé, Mon second Enfer, veu que ie n’en ay point mys de premier en lumiere, ie vous aduise que le tiltre de ce second est pour le respect du premier : lequel courroit desia par le monde, sans la fascherie qui m’est dernierement aduenue. Mais auec le temps il aura sa publication. Pour ceste heure, ie me contente de vous faire apparoistre que c’est par malheur & non par delict & crime que ie suis en affliction. Cela vous estant persuadé (comme certainement il doibt estre), mon aduersité, tant grande, me sera diminuée de la moytié ; &, pour mon reconfort, ie me mettray de iour en iour deuant les yeulx les regrets & souspirs que vous, Amys, fairez pour l’infortune de vostre amy, qui en cest endroict bien affectueusement à vous touts se recommande, priant Dieu vous auoir en sa saincte garde.
    Escript en ce Monde, ce premier iour de May, l’An de la redemption humaine, mil cinq cens quarente & quattre.