• Avec le concours et l’engagement des Fondations Edmond de Rothschild
  • À la souveraine et vénérable Cour
    du Parlement de Paris

    Je ne me plains pas qu’on en use avec rigueur à mon égard,
    Car c’est à bon droit que la justice est forte
    Et qu’elle règne à la ville et à la campagne,
    Tout autant sur les bons et sur les méchants,
    De manière à ce que tous craignent toujours
    Sa forte main et sa poigne redoutable.
    Hélas ! je me plains de mon triste sort :
    Sans avoir commis le moindre forfait, la moindre offense,
    Il me précipite en des tourments infinis :
    À peine les uns prennent-ils fin
    Que sans m’y attendre je me heurte à un autre
    Et coup sur coup c’est une nouvelle embûche
    Que ce méchant tyran m’impose, lui qui se plaît
    À m’inventer mésaventure et déplaisirs.
    Mais ce n’est pas vous à qui je dois me plaindre :
    Ce n’est pas vous que ma voix plaintive
    Endormira ou surprendra.
    Mieux vaut donc que je vous fasse entendre mon bon droit
    Et vous raconte par le menu
    Comment ces ennuis me sont arrivés, à mon grand tort.
    Dans Paris (vous le savez mieux que moi,
    Tout comme mes amis, soucieux
    De mon honneur, me l’ont écrit)
    Ont été saisis, il y a deux mois de cela,
    Des paquets de livres, parmi lesquels
    Il y en a de bons, approuvés et connus
    (Et ceux-là sont, m’assure-t-on,
    Marqués de mon sceau et du lieu où je vis),
    Les autres étant remplis d’idées hérétiques
    Réprouvées par les édits officiels.
    Et parce que les uns et les autres étaient mélangés,
    Quelques individus malicieux se sont pris
    À vous convaincre
    Que c’était moi, oui, moi,
    Qui avais fait envoyer ces paquets à Paris.
    Mais je demande à ces bellâtres
    Qui se démènent tant pour me calomnier
    S’ils pourraient nier devant vous
    Qu’un autre que moi, commerçant ou méchant homme,
    Ait pu préparer, pour me nuire,
    Ces paquets et les remplir de la sorte,
    Pour mener à bien son funeste projet ?
    Suis-je le seul à vendre mes livres ?
    Ne sont-ils pas à la disposition de qui les veut ou
    Souhaite les acheter ? Est-ce une preuve suffisante
    Que parce qu’on trouve des livres
    De Genève avec des livres de Dolet,
    Il semble bien, comme le veulent les mauvais esprits,
    Que c’est DOLET qui a emballé le tout,
    A tout préparé et a fait envoyer la marchandise à Paris ?
    Oh, la tromperie que voilà ! Est-ce qu’on se rend compte
    De la douleur, du tort et du grief
    Que l’on commet contre celui qui n’a rien fait
    Et qui ne se sent coupable de rien ?
    Et puis, je suis certain que si l’on examine bien
    (C’est là le point le plus sensible
    De toute cette affaire) le billet qui accompagnait la voiture,
    On verra que ce n’est pas mon écriture ;
    De même, le conducteur,
    S’il est loyal et droit, ne dira pas
    Qu’il a reçu de ma part un paquet, grand ou petit,
    Qui fait qu’on me maltraite ainsi.
    Malgré cela, j’ai été écroué,
    Comme si j’étais coupable de haute trahison,
    Que j’avais commis quelque affreux et terrible forfait,
    Comme si j’étais reconnu coupable de ces faits.
    Mais je ne suis pas resté longtemps en prison :
    J’en suis sorti dès le troisième jour,
    Grâce à une aide fort aimable :
    DIEU, qui n’abandonne jamais les siens
    Dans la peine et les délivre
    Du malheur qu’on a pu leur infliger à tort.
    Sur ce point, tout va bien pour moi,
    Puisque je ne suis plus derrière les barreaux.
    Reste toutefois que, ma cause présentée,
    Mon droit doive être reconnu
    [pour le tort que j’ai prétendument commis :
    Et que ma liberté que j’ai perdue de votre fait
    Doive m’être rendue de la même façon :
    Vous reconnaîtrez que c’est par présomption 
    Que vous m’avez mis ainsi dans l’affliction,
    Et puisque ce tort m’est causé injustement,
    Ce qui n’est que trop évident,
    La raison veut, et aussi l’équité,
    Que ces misères prennent fin,
    Pour moi qui erre çà et là sans oser séjourner
    À Lyon, où je veux retourner
    Et passer le reste de ma vie,
    Même si certains méchants veulent s’employer à me nuire.
    Si j’ai gain de cause,
    N’ayez plus crainte : vous ne me verrez jamais
    De ma vie imprimer un seul livre
    De l’Écriture ou sur ce genre de sujet.
    J’en suis lassé, à juste titre d’ailleurs,
    Car de tous côtés m’assaillent
    Malheurs, contrariétés, déboires et nuisances
    Qui me valent si souvent la prison.
    Il est bien vrai que je ne suis pas le premier
    À les avoir imprimés. Tel autre le fait tous les jours,
    À Paris et à Lyon,
    Au su et au vu de tous, en deux millions d’exemplaires,
    Et pour cela n’est ni inquiété ni arrêté.
    Je suis le seul à qui l’on s’en prenne,
    Je suis le seul à en pâtir,
    Je suis le seul à en souffrir.
    Loué soit le SEIGNEUR DIEU de tout,
    Qu’il m’accorde la grâce que soit mis fin à
    Tant de misères,
    Tant de déboires pénibles et démesurés.
    Et vous, seigneurs, n’usez pas de violence
    Contre mon bon droit, contre un innocent :
    Puisque je n’ai commis ni offense ni méfait,
    Faites que rien ne soit entrepris contre moi.
    Si je ne voulais pas vivre en FRANCE,
    Je n’adresserais pas une requête si ardente ;
    Et si j’avais quitté la FRANCE,
    Je trouverais ailleurs un lieu
    Où je pourrais vivre en toute liberté
    Et sans danger, à tout jamais ;
    Mais il m’est douloureux, quand je pense à la France,
    De renoncer à mon pays, moi qui suis innocent.
    Je serais fort contrit si ma volonté
    (Si finalement vous avez la dureté de ne pas intervenir)
    De travailler pour l’honneur des Français
    (C’est vers cela que tendaient tous mes efforts
    Quand ce malheur m’a assailli)
    N’aboutissait tant soit peu et ne portait ses fruits.
    N’allez donc pas empêcher ces nobles efforts :
    Puisque je ne suis enclin à aucun vice,
    Laissez-moi vivre sans risque et tranquillement.
    Car, dites-moi, vraiment :
    Que me veut-on ? Suis-je le diable cornu ?
    Me tient-on pour un traître, un fauteur de trouble ?
    Suis-je un mauvais garçon ? Un maraudeur de grand chemin ?
    Suis-je un voleur ? Un meurtrier inhumain ?
    Un ruffian ? Un paillard aux mœurs dissolues ?
    Un va-t-en guerre ? Un trompeur patenté ?
    Un révolté ? Est-ce que j’outrage quiconque ?
    Suis-je nuisible à l’un, funeste à l’autre ?
    Est-ce que je tiens sur DIEU quelque mauvais propos ?
    Est-ce que je vais çà et là brocardant notre roi ?
    Suis-je un loup gris ? Un monstre sur la terre,
    Pour qu’on me livre une guerre si dure ?
    Suis-je sujet à tel ou tel vice,
    Pour qu’on me traîne ni souvent en justice ?
    Vous n’êtes pas sans savoir que maint pays
    Admire tant et plus
    La noble entreprise à laquelle je me suis
    Consacré nuit et jour, corps et âme :
    Mon étude, et comment
    J’honore de mes écrits la renommée des Trois Lys ;
    Et pour toute gratification
    Je ne reçois qu’ingratitude.
    Si un marlou, un va-t-en guerre,
    Un beau parleur, un bellâtre
    S’en vient en FRANCE et se met à faire moult promesses
    Merveilleuses sur l’art des lettres
    Ou de la guerre, à coup sûr
    Il n’aura pas vécu un an en FRANCE
    Sans tirer tout le profit
    Qu’il souhaite, sans bénéficier de grandes charges
    Grâce à tous ceux qu’il aura fréquentés,
    À croire qu’il les a envoûtés.
    Et moi, pauvre hère, qui me tue nuit et jour
    À la tâche, qui m’épuise
    À composer quelque excellent ouvrage
    Digne de révéler en tous lieux
    La gloire du nom François,
    On ne m’accorde pas même la grâce
    De pouvoir vivre en paix
    Et poursuivre librement mes travaux.
    Comment cela est-il possible ?
    [C’est une situation bien étrange,
    Que l’on peut difficilement approuver.
    Quand on m’aura brûlé ou bien pendu,
    Attaché à la roue et fendu en morceaux,
    Qu’en sera-t-il ? Un corps mort.
    Hélas ! N’aurait-on vraiment aucun remords
    De faire périr ainsi, avec cruauté,
    Un homme qui n’a commis aucun méfait ?
    Un homme a-t-il si peu de valeur ?
    Est-ce une mouche ou un vers qui mérite
    Sans nul autre égard d’être si vite détruit ?
    Dès qu’un homme est adulte et instruit,
    Paré de science et de vertu,
    Doit-il être anéanti, tel un fétu de paille ?
    Tient-on si peu compte
    D’un noble esprit, bien supérieur à tant d’autres ?
    Je dis ceci, messieurs dont je connais la douce clémence,
    Parce que je sais que vous n’êtes pas violents
    Outre mesure au point de mettre à mort
    Un criminel, malgré les lourdes charges qui pèsent sur lui.
    Et je parle sans flatterie ni mensonge,
    En homme sincère,
    Qui a connu les geôles de la Conciergerie,
    Et a été calomnié maintes fois à tort.
    Cela est si vrai que je ne crains pas (j’en atteste
    Dieu tout-puissant) d’affronter les affres
    De la prison, moi qui suis encore assez heureux
    De pouvoir venir au-devant de vous pour plaider ma cause.
    Tout n’est pas encore perdu :
    J’ai encore toute ma tête
    Et je peux répondre par écrit
    Aux demandes que vous pourriez me faire.
    Saisissez-vous à présent de cette cause
    Pour moi qui par lettre et sans avocat
    Ai plaidé devant vous ma défense dans les menus détails.
    Que faut-il de plus, sinon une sentence,
    Un arrêt de bon aloi, qui en quelques phrases
    Dira comment la vénérable Cour
    Du Parlement de Paris me rend
    Tous mes droits et annule
    Entièrement ma peine de prison
    Sans qu’on en entende plus jamais parler ?
    Ce faisant, vous ferez acte de justice
    Et ferez preuve d’une grande équité
    En libérant de son malheur un innocent
    Qui chantera vos mérites à jamais.

    A la sovveraine, et venerable Covrt dv Parlement de Paris

    Ie ne me plainds, qu’on m’use de rigueur :
    Car c’est raison que Iustice ayt vigueur,
    Et qu’elle regne à la ville, & aux champs
    Egalement sur les bons, & meschants,
    Pourvng chascun tousiours tenir en craincte
    Par sa main forte, & redoutable attaincte.
    Las ! ie me plainds de ma triste fortune,
    Qui sans forfaict, & sans offense aulcune,
    Me precipite en trauaulx infiniz :
    Tant que les vngs ne sont presque finiz,
    Que tout soubdain en aultre ie tresbuche,
    Et coup sur coup trouue nouuelle embusche
    Par ce tyrant Malheur, qui prend plaisir
    De me forger encombre, & desplaisir.
    Mais ce n’est vous, à qui plaindre me doibs :
    Ce n’est pas vous, qui par plainctifue voix
    Vous vous laissiez endormir, ou surprendre.
    Il vault dõcq’ mieulx mon droict vous faire entendre,
    Et vous déduire ici par le menu,
    Comme à grand tort m’est ce trouble aduenu.
    Dedans Paris (comme sçauez trop mieulx :
    Et comme aussi mes amys soucieux
    De mon honneur m’ont escript par deça)
    Ont esté prins depuys deux moys en ça
    Certains fardeaulx de Liures. Dont les vngs
    Ne sont que bons, approuués, & communs
    (Et ceulx là sont, ainsi que l’on m’asseure,
    Marcqués de moy, & du lieu, où demeure)
    Les aultres sont pleins de sens heretique,
    Et reprouués par edict authentique.
    Or pour cela qu’ainsi estoyent meslés,
    Quelcques malings se sont entremeslés
    De vous induire à croyre fermement,
    Que c’estoit moy qui veritablement
    Auoys transmis à Paris ces fardeaulx.
    Mais ie demande à ces beaulx coquardeaulx,
    Qui taschent tant à me calumnier,
    S’ilz me pourroient en cest endroict nyer,
    Qu’aultre que moy, ou marchant, ou meschant
    N’ayt peu dresser (pour m’aller empeschant)
    Ces deux fardeaux : & ainsi les remplyr,
    Pour son vouloir malheureux accomplyr.
    Suis ie tout seul, qui de mes Liures vende ?
    N’en a chascun, qui en veult, ou demande,
    Pour son argent ? N’est ce doncq’ belle prouue,
    Que pour cela, que des Liures on trouue
    Et de Genesue, & de Dolet ensemble,
    A l’appetit des malings fault qu’il semble,
    Que c’est Dolet , qui le tout ya mys,
    Le tout dressé, & à Paris transmys ?
    O quel abuz ! Y a il apparence,
    Que de vray dol, que de tort, & greuance
    Contre celluy, qui en est innocent,
    Et qui chargé en cela ne se sent ?
    Plus : ie suis seur, que si on prend bien garde
    (Qui est le poinct, où le plus on regarde
    En tel affaire) au tillet de voicture,
    On ne dira, que c’est mon escripture :
    Pas ne dira aussi le Voicturier
    (Si véritable il est, & droicturier)
    Qu’il ayt repceu de moy balle, ou ballette,
    Dont à grand tort si tresmal on me traicte.
    Ce nonosbtant ie fus mys en prison,
    Comme ayant faict quelcque grand’ trahison,
    Quelcque forfaict enorme, & execrable,
    Comme du cas conuaincu, & coulpable.
    Mais en prison ie ne feis long seiour :
    Car i’en sortis des le troysiesme iour,
    Par le moyen de quelcque gentillesse :
    Moyen de Diev, qui les siens ne delaisse
    A leur besoing : & qui bien les deliure,
    Quand à telz maulz contre droict on les liure.
    Touchant cela, il va fort bien pour moy,
    Puisque ie suys hors de captif esmoy.
    Reste au surplus, que mon droict entendu,
    Droict me soit faict sur mon tort pretendu :
    Si que par vous ma liberté perdue,
    Par vous me soit semblablement rendue :
    Recongnoissant, que par presumption
    Vous m’auez mys en ceste affliction :
    Et si elle est sans iuste fondement
    (Ce que voyez à l’oeil trop clairement)
    Raison ne veult, ny aussi equité,
    Que ie demeure en ceste aduersité,
    Errant çà, là, sans oser seiourner
    Dedans Lyon : où ie veulx retourner,
    Et consumer le reste de ma vie,
    Maulgré aulcuns, & leur meschante enuye.
    Si à ce bien puis vng coup paruenir,
    Ne craignez pas, que voyez aduenir,
    Que de ma vie vng seul Liure i’imprime
    De l’Escripture, ou aultre telle estime.
    I’en suis trop saoul, & trop saoul en doibs estre :
    Veu, qu’il m’en vient à dextre, & à senestre
    Malheur, ennuy, tout encombre, & dommage,
    Et que i’en suys si souuent mys en cage.
    Bien est il vray, que ne suys le premier,
    Qui les a faictz. Tel en est coustumier,
    Et en imprime à Paris, & Lyon
    Publicquement vng & vng million,
    Qui pour cela n’est fasché, ne reprins.
    Seulet ie suys à qui mal en est prins :
    Seulet ie suys, qui en porte la peine :
    Seulet ie suys, qui en ay male estreine.
    Or soit loué le Seignevr Diev de tout :
    Grace me face ores, que soys au bout
    De tant de maulx contre moy si pressifs,
    De tant d’ennuys si griefs et excessifs.
    Et vous, Seigneurs, n’vsez de violence
    Contre mon droict, & ma grande innocence :
    Puis que ie n’ay offensé, ny mesfaict,
    Faictes, que rien contre moy ne soyt faict.
    Si ne vouloys en France bien verser,
    Pas ne querroys si fort y conuerser :
    Et si i’estoys de la France party,
    Ie trouueroys ailleurs assez party,
    Ou ie pourroys viure en grand’Liberté,
    Et à iamais auoir bonne seurté :
    Mais il m’est dur (quand à ce bien ie pense)
    De renoncer mon païs, sans offense.
    Marry seroys, que le vouloir, que i’ay
    (Si par rudesse à la fin n’est changé)
    De trauailler pour l’honneur des François
    (Et cest effort grandement i’aduançois,
    Quand ce malheur prochainement m’aduint)
    A quelcque fruict, & effect ne paruint.
    N’empeschez doncq’ cest effort glorieux :
    Si ie ne suys en rien pernicieux,
    Laissez moy viure en seurté, & repos.
    Disons vng peu (puisqu’il vient à propos)
    Que me veult on ? suys-ie vng Diable cornu ?
    Suys-ie pour Traistre, ou Boutefeu tenu ?
    Suys-ie vng Larron ? vng Guetteur de chemin ?
    Suys-ie vng Volleur ? vng Meurtrier inhumain ?
    Vng Ruffien ? vng Paillard dissolu ?
    Vng Affronteur ? vng Pipeur resolu ?
    Suys-ie mutin ? suys-ie en rien oultrageux ?
    Suys-ie à quelcqu’vng nuysible, ou dommageux ?
    Dys-ie de Diev quelcque cas mal sonnant ?
    Vais-ie l’honneur de mon Roy blazonnant ?
    Suys-ie vng Loup gris ? suys-ie vng monstre sur terre,
    Pour me liurer vne si dure guerre ?
    Suys-ie endurcy en quelcque meschant vice,
    Pour me trainer si souuent en Iustice ?
    Ignorez vous, que maincte Nation
    N’ayt de cecy grande admiration ?
    Car chascun sçait la peine, que i’ay prinse
    Et iour, & nuict sur la noble entreprinse
    De mon estude : & comme ie polys
    Par mes escripts le renom des troys Lys,
    Et toutesfoys de toute mon estude
    Ie n’ay loyer, que toute ingratitude.
    Si vng trompeur, vng affronteur insigne,
    Vng grand causeur, vng faisant bonne mine
    S’en vient en France, & se mect à promectre
    Cas merueilleux sur le faict de la lettre,
    Ou de la guerre : il est tout asseuré,
    Qu’il n’aura pas en France demeuré
    Vng an sans plus, qu’il n’ayt des benefices,
    Tant, qu’il vouldra : ou quelcques grands offices
    De touts ceulx là, qu’il aura fréquentés :
    Si qu’on diroit ; qu’il les a enchantés.
    Et moy chetif, qui iour, & nuict me tue
    De trauailler : & qui tant m’esuertue
    Pour composer quelcque ouuraige excellent,
    Qui puisse aller la gloire reuelant
    Du nom Françoys en tout cartier, & place,
    On ne me faict seullement tant de grace,
    Qu’en bien versant, en repos puisse viure,
    Et mon estude en liberté poursuyure.
    D’où vient cela ? c’est vng cas bien estrange :
    Ou l’on ne peult acquerir grand’ louange,
    Quand on m’aura ou bruslé ou pendu,
    Mis sur la roue, & en cartiers fendu,
    Qu’en sera-il ? ce sera vng corps mort.
    Las toutesfoys n’auroit on nul remord
    De faire ainsi mourir cruellement
    Vng, qui en rien n’a forfaict nullement ?
    Vng homme est il de valeur si petite ?
    Est-ce vne mouche, ou vng verms, qui merite
    Sans nul esgard si tost estre destruict ?
    Vng homme est il si tost faict, & instruict,
    Si tost muny de science, & vertu,
    Pour estre ainsi qu’une paille ou festu,
    Anihilé ? faict on si peu de compte
    D’ung noble esprit, qui mainct aultre surmonte ?
    Ie dy cecy, Seigneurs doulx & clements,
    Pour ce que sçay, que n’estes vehements
    Oultre mesure à submettre à la mort
    Vng criminel, bien qu’il soyt chargé fort.
    Et si le dy sans flater, ou mentir,
    Comme celluy, qui le peus bien sentir,
    Lors que i’estoys en la Conciergerye
    Chargé à tort de maincte resuerie.
    Tant, que sans craindre (& de cela i’atteste
    L’Omnipotent) vne longueur moleste
    De la prison, bien eusse esté content
    Aller vers vous, mon bon droict racomptant.
    Mais en cela rien n’y a de perdu.
    Ie n’ay le sens si tresfort esperdu,
    Que par escript ne vous puisse mander
    Toute responce à ce, que demander
    Vous m’eussiez peu. Or prenez doncq’ le cas,
    Que sans y estre, & sans nulz Aduocats,
    Vous aye au long remonstré ma defense.
    Que faut-il plus, sinon vne sentence,
    Vn bon Arrest, qui en sens brief, & court
    Dira, comment la venerable Court
    Du Parlement de Paris me remect
    En mon entier : & qu’au néant el’ mect,
    Du tout, en tout mon emprisonnement,
    Sans que iamais bruict en soy aultrement ?
    Cela faisant, Iustice vous fairez,
    Et d’equité grande vous vserez,
    En releuant l’Innocent de malheur,
    Qui ne taira iamais vostre valleur.
    Fin.