Voici que Malchance, hors de ses gonds,
A dévoilé les lâches et mauvaises pensées
Qu’elle me réservait.
Je me doutais bien qu’il en serait ainsi,
Quand j’ai été emprisonné, l’autre fois,
Il y a environ dix-huit mois ;
Car je sais bien que cette affreuse Bête
Est d’une nature très vicieuse ;
Et quand un jour elle en veut
À quelqu’un, elle ne se contente pas
D’un coup, ni de trois, ni de quatre,
Tant que l’Éternel ne vient l’empêcher
D’exercer sa fureur et son cœur malveillant.
Voilà comment, ô dame très sage,
Miséricordieuse et douce,
Ce vilain monstre qui brûle de haine,
Non content de mon premier malheur,
Me tourmente et me torture de nouveau.
Le malheur est qu’on m’a jeté en prison
Sans que j’aie commis nul forfait, rien :
Juste par présomption,
Ou, pour mieux dire, à l’instigation
De méchants, on m’accuse d’avoir
Envoyé deux paquets remplis de vilaine marchandise
(Rapport à la religion).
Et les présidents du tribunal, excédés,
Mais n’ayant aucune preuve, aucun indice,
Appliquant juste la lettre de la loi,
Demandent aussitôt qu’au plus vite
Et du jour au lendemain on m’arrête
Et m’amène prisonnier devant eux.
Mais le Tout Bon, Celui qui préside aux cieux,
N’a pas voulu me laisser dans le besoin,
Et, préoccupé de mon malheur,
M’a fait la grâce, ô bonté infinie,
De me faire sortir de ce très mauvais pas
Dans lequel on m’avait mis. Bref, je ne suis plus prisonnier.
Cela dit, madame, il demeure
Que, vu ce qui s’est passé et vu mon innocence,
Je vous demande de supplier ce noble ROI DE FRANCE
(Si du moins il vous agrée de vous soucier de moi)
De bien vouloir m’accorder à nouveau
La possibilité de séjourner sans danger dans son royaume,
D’y reposer, d’y être libre,
Comme je l’ai toujours été, sauf depuis que des désagréments
Ont un peu aliéné ma liberté.
Le remède est simple,
Si vous voulez faire en sorte
Qu’on mette fin à présent
À tous mes désagréments
Et qu’on me réhabilite
Entièrement, qu’on me laisse tranquille
Tant que je ne commets aucun délit.
Ce que je n’ai jamais fait et ne ferai jamais.
Mais DIEU me préserve de ces méchants qui me veulent du mal
Donc, pour finir,
Je vous supplie, si d’aventure
Vous avez eu l’intention de m’être bienveillante,
De trouver le moyen cette fois
De faire que le ROI ne consente
Pas à ce que je quitte la FRANCE à tort.
Pour cela, il vous plaira de lire
Ce que j’ai voulu écrire au ROI en personne ;
Vous verrez ainsi le fond de l’affaire
Et le récit complet de ce qui m’est arrivé ;
Ensuite, en lui présentant ma lettre,
Vous pourrez plus facilement lui dire
Les griefs et les torts dont on m’accuse sans raison,
Et rappeler qu’à ce jour je n’ai fait aucun mal.
ADIEU, madame, je supplie humblement
Le Créateur, qui tempère en tous sens
Les actes des hommes et la voûte céleste,
De vous prêter longue, saine et
Heureuse vie,
Et de faire l’objet de tant d’honneurs
Que le ciel et la terre en soient saisis de stupeur.
Madame, si je vous suis importun,
Ce n’est pas par intérêt :
Je ne demande aucun bien,
Aucune place, aucun bénéfice.
Je vous prie seulement de trouver
Le moment propice
Pour alerter le roi, pour qu’il lui plaise de me garantir
Une liberté certaine en ses terres ;
Car je ne souhaite nulle autre demeure,
Et je souffre fort quand je les quitte.
Hélas ! Faites en sorte que ce moment arrive,
Vous qui maîtrisez le temps.
C’est à ce coup, que Fortune insensée,
A descouuert la meschante pensée,
Qui laschement m’a gardé iusque icy.
Bien me doubtois qu’il en seroit ainsi,
Quand prisonnier ie fus des l’aultre foys,
Il peult auoir quelcques dix huict moys.
Car ie sçay bien, que ceste faulce Lyce
De sa nature est pleine de malice :
Et si vng coup elle a conceu rancune
Contre quelqu’ung, pas n’est contente d’une
Aduersité, ou de troys, ou de quattre,
Si l’Eternel ne luy vient à rabbatre
Sa grand’ fureur, & oultrageux courage.
Voyla, comment (dame prudente, & sage,
Dame addonnee à doulceur, & pitié)
Ce villain monstre ardent d’inimytié,
Et non content de mon premier meschef,
M’a mys en trouble, & peine de rechef.
Le meschef est, qu’en prison on m’a mys,
Sans nul forfaict, sans rien auoir commis :
Fors seulement, que par presumption,
Ou (pour myeulx dire) à l’instigation
Des enuyeulx, contre moy on intente
Que deux fardeaulx pleins de chose meschante
(Quant à la foy) ay transmis à Paris.
Et de cela les Presidents marris,
Sans nulle preuue, & sans aulcun indice,
Ains seulement en rigueur de Iustice
Mandent tout chault en diligence bonne
Que tout soubdain on happe ma personne,
Pour me mener captif par deuers eulx.
Mais le tout bon, le President des cieulx
N’a pas voulu me laisser au besoing :
Et en prenant de tout mon mal le soing,
M’a faict la grace (ô bonté infinie !)
De sortir hors de la grand’villennie,
Qu’on me brassoit. Brief, captif ne suis plus.
Puisqu’ainsi est, Dame, il reste au surplus,
Que veu mon faict, & ma grande innocence,
Vous requeriez ce noble Roy de France
(Si tant vous plaist pour moy vous trauailler)
Que son plaisir soit de me rebailler
En son Royaulme vne telle seurté,
Vng tel repos, & telle liberté,
Qu’ay tousiours heue : hors mys depuis qu’enuye
Ma liberté a vng peu asseruie.
Mais tout cela se peult bien reparer,
Si vous voulez les moyens preparer,
Et faire tant, qu’ores on abolisse
Tout mon ennuy, & qu’on me restablisse
En mon entier : sans que plus on me fasche,
Si ie ne viens à faire chose lasche.
Ce que n’ay faict, & feray encor moyns.
Mais Diev me gard de ces meschants tesmoings.
Or apres tout, pour resolution,
Ie vous supply, si oncq intention
Vous auez heu de me faire aulcun bien,
Qu’a ceste foys vous trouuiez le moyen
Enuers le Roy, que point il ne consente,
Que de la France à tel tort ie m’absente.
Pour bien le faire, il vous plaira de lire
Ce, qu’ay voulu au Roy mesmes escrire :
Car là voirrez le fonds de la matiere.
Et de mon faict la narratiue entiere ;
Dont par apres ma lettre presentant,
Vous luy pourrez myeulx aller racomptant
Les griefs, & torts, que sans cause on me faict :
Et qu’a present ie n’ay en rien meffaict.
Adiev ma Dame, humblement requerant
Le Createur hault & bas moderant
Les faicts humains, & le pourpris celeste,
Que longuement en santé il vous preste
Heureuse vie, & d’honneur tant ornée,
Que Ciel, & Terre en demeure estonnée.
Fin.
Dame, si vous suis importun,
Cela ne me part d’auarice :
Ie ne demande bien aulcun,
Office soit, ou benefice.
Seulement vne heure propice
Ie vous pry de faire sonner,
Où il plaise au Roy me donner
En ses païs liberté seure :
Car ie ne quiers aultre demeure,
Et m’est bien grief, quand i’en desloge.
Helas, faictes sonner telle heure,
Puis que vous gouuernez l’Horloge.