Je me souviens (et il le faut,
Si je ne veux devenir un ingrat),
Qu’à Moulins, il y a sept ans, il me semble,
Votre grande affection et votre bienveillance
Vous ont fait trouver sans tarder
Le bon moment et le moyen
De présenter mes deux volumes au roi,
Lui disant alors de moi plus de bien
Qu’on ne pouvait, qu’on ne peut
[et ne pourra jamais en dire.
Mais cette faveur que vous m’avez faite est au-delà de
La vérité, quand elle consent
Au bien de quelqu’un et veut l’encenser.
Où est-elle à présent, cette faveur
Que vous aviez pour moi, pour avoir goûté
Le peu de science
Qu’il avait plu à Dieu de m’accorder ?
Je ne la vois plus ; non pas que je l’avais méritée,
Mais tout homme a tendance
À changer et infléchir son cœur
S’il prête foi à des faussetés.
Pour ma part, je crois tout à fait
Que je ne vous suis pas odieux,
Mais que certains exaltés
Toujours prêts à donner des banderilles contre la vertu
Vous ont rempli les oreilles de menteries,
De racontars et de grandes inventions
Me concernant ; mais vous ne les croirez pas
Quand vous verrez ce que je vais répondre.
Ce que je veux vous dire, à la vérité,
C’est que j’ai vécu jusqu’à ce jour, et vivrai encore
En bon chrétien, catholique et fidèle,
Même si les mots enflammés et médisants
De certaines méchantes gens et d’envieux diaboliques
Me font du tort par leurs mauvaises paroles.
Je n’ai causé nulle hérésie ni égarement,
J’ai en horreur et je hais les livres mauvais
Et je ne voudrais ni en vendre ni en imprimer
Un seul feuillet qui avilisse la bonne
Et ancienne loi ou fasse imaginer
Quelque perversité et mentir contre DIEU.
Tel que je suis (et cela ne fait aucun doute),
Je ne puis croire que votre digne cœur,
Vu la faveur que vous m’avez témoignée,
Soit à ce point enfiévré par des menteurs
Et que vous me laissiez en la peine où je suis
Sans m’aider à réaliser mon souhait.
Mon souhait, vous l’avez bien entendu,
C’est de pouvoir jouir de nouveau
De la liberté. Pour cela, vous le savez,
Votre pouvoir et vos moyens sont grands,
Il vous suffit d’en toucher
Quelques mots au grand ROI notre sire,
Auprès de qui vous avez un si grand crédit
Que vous ne serez pas discrédité.
Faites donc, prélat plein de sagesse,
Que je ne quitte la FRANCE, moi qui suis innocent,
Que je sois retenu dans le pays
Pour l’honneur duquel je me suis toujours battu.
Ce faisant, vous accomplirez un grand bienfait,
Il vous rendra immortel à jamais,
Il sera le signe de votre divine bonté,
Bienveillante à tous et nuisible à personne.
Il me souuient (& m’en doibt souuenir,
Si trop ingrat ie ne veulx deuenir)
Comme à Moulins (sept ans a, ce me semble)
Par grand amour, & par faueur ensemble
Sans long delay vous me feistes ce bien
De trouuer l’heure opportune, & moyen
Pour presenter mes deux Tomes au Roy,
Luy disant lors trop plus de bien de moy,
Qu’il n’y auoit, & n’y a, & n’y fut.
Mais c’est faueur, qui passe ains le but
De verité, quand elle veult entendre
Au bien d’aulcun, & sa louange estendre.
Or ou est elle, ou est ceste faueur,
Que me portiez, pour vng goust, & saueur
Qu’auiez trouuée en ce peu de sçauoir,
Qu’il auoit pleu à Diev me faire auoir.
Plus n’apparoist. Non que l’ays merité :
Mais il n’est nul, qui ne soit incité
A se changer, & muer de courage,
Si foy adiouste à quelcque faulx langage.
Et quant à moy, ie pense fermement,
Que ne vous suis odieux aultrement,
Sinon qu’aulcuns pleins de sens frenetique,
Contre vertu ayants tousiours la picque,
Vous ont remply (en mentant) les oreilles
De plusieurs cas, & de grandes merueilles
Touchant mon faict. Mais pas ne les croirez,
Et ma response à cela vous oyrrez.
Ma response est, pour le vous dire au vray,
Que i’ay vescu iusque icy, & viuray
Comme Chrestien, catholique, & fidelle,
Quoy que la langue enflammée, & mezelle,
D’aulcuns meschants, & enuieux mauldicts
Me mette sus par ses villains mesdicts.
Fauteur ne suis d’Heresie, ou erreur :
Liures mauluais i’ay en hayne, & horreur :
Et ne vouldrois ou vendre, ou imprimer
Vng seul fueillet pour la loy deprimer
Antique, & bonne : ou pour estre inuenteur
De sens peruers, & contre Diev menteur,
Si tel ie suis (comme suis pour certain)
Croyre ne puis, que vostre cueur haultain
(Veu le vouloir, que vous m’auez porté)
Soit par menteurs si tres fort transporté,
Que me laissiez en la peine, où ie suis,
Sans m’auancer en cela, que poursuis.
Ce, que poursuis, bien l’auez entendu.
C’est, que vouldrois le fruict m’estre rendu
De liberté. En cela vous sçauez,
Que grand’ puissance, & moyen vous auez,
Si seulement il vous plaisoit en dire
Vng petit mot au grand Roy nostre Syre :
Enuers lequel vous auez tel credit,
Que de cela vous ne serez desdit.
Or faictes doncq’, Prelat plein de prudence,
Que sans forfaict ie ne parte de France :
Ains que ie sois au païs retenu,
L’honneur duquel i’ay tousiours maintenu.
Cela faisant, vous fairez vng bien tel,
Qu’à tout iamais vous rendra immortel,
Testifiant vostre bonté diuine,
Propice à touts, & à nul mal encline.
Fin.