• Avec le concours et l’engagement des Fondations Edmond de Rothschild
  • À Monseigneur le révérendissime cardinal de Tournon

    Je me souviens (et il le faut,
    Si je ne veux devenir un ingrat),
    Qu’à Moulins, il y a sept ans, il me semble,
    Votre grande affection et votre bienveillance
    Vous ont fait trouver sans tarder
    Le bon moment et le moyen
    De présenter mes deux volumes au roi,
    Lui disant alors de moi plus de bien
    Qu’on ne pouvait, qu’on ne peut
    [et ne pourra jamais en dire.
    Mais cette faveur que vous m’avez faite est au-delà de
    La vérité, quand elle consent
    Au bien de quelqu’un et veut l’encenser.
    Où est-elle à présent, cette faveur
    Que vous aviez pour moi, pour avoir goûté
    Le peu de science
    Qu’il avait plu à Dieu de m’accorder ?
    Je ne la vois plus ; non pas que je l’avais méritée,
    Mais tout homme a tendance
    À changer et infléchir son cœur
    S’il prête foi à des faussetés.
    Pour ma part, je crois tout à fait
    Que je ne vous suis pas odieux,
    Mais que certains exaltés
    Toujours prêts à donner des banderilles contre la vertu
    Vous ont rempli les oreilles de menteries,
    De racontars et de grandes inventions
    Me concernant ; mais vous ne les croirez pas
    Quand vous verrez ce que je vais répondre.
    Ce que je veux vous dire, à la vérité,
    C’est que j’ai vécu jusqu’à ce jour, et vivrai encore
    En bon chrétien, catholique et fidèle,
    Même si les mots enflammés et médisants
    De certaines méchantes gens et d’envieux diaboliques
    Me font du tort par leurs mauvaises paroles.
    Je n’ai causé nulle hérésie ni égarement,
    J’ai en horreur et je hais les livres mauvais
    Et je ne voudrais ni en vendre ni en imprimer
    Un seul feuillet qui avilisse la bonne
    Et ancienne loi ou fasse imaginer
    Quelque perversité et mentir contre DIEU.
    Tel que je suis (et cela ne fait aucun doute),
    Je ne puis croire que votre digne cœur,
    Vu la faveur que vous m’avez témoignée,
    Soit à ce point enfiévré par des menteurs
    Et que vous me laissiez en la peine où je suis
    Sans m’aider à réaliser mon souhait.
    Mon souhait, vous l’avez bien entendu,
    C’est de pouvoir jouir de nouveau
    De la liberté. Pour cela, vous le savez,
    Votre pouvoir et vos moyens sont grands,
    Il vous suffit d’en toucher
    Quelques mots au grand ROI notre sire,
    Auprès de qui vous avez un si grand crédit
    Que vous ne serez pas discrédité.
    Faites donc, prélat plein de sagesse,
    Que je ne quitte la FRANCE, moi qui suis innocent,
    Que je sois retenu dans le pays
    Pour l’honneur duquel je me suis toujours battu.
    Ce faisant, vous accomplirez un grand bienfait,
    Il vous rendra immortel à jamais,
    Il sera le signe de votre divine bonté,
    Bienveillante à tous et nuisible à personne.

    A monseigneur Le reverendissime cardinal De Tovrnon

    Il me souuient (& m’en doibt souuenir,
    Si trop ingrat ie ne veulx deuenir)
    Comme à Moulins (sept ans a, ce me semble)
    Par grand amour, & par faueur ensemble
    Sans long delay vous me feistes ce bien
    De trouuer l’heure opportune, & moyen
    Pour presenter mes deux Tomes au Roy,
    Luy disant lors trop plus de bien de moy,
    Qu’il n’y auoit, & n’y a, & n’y fut.
    Mais c’est faueur, qui passe ains le but
    De verité, quand elle veult entendre
    Au bien d’aulcun, & sa louange estendre.
    Or ou est elle, ou est ceste faueur,
    Que me portiez, pour vng goust, & saueur
    Qu’auiez trouuée en ce peu de sçauoir,
    Qu’il auoit pleu à Diev me faire auoir.
    Plus n’apparoist. Non que l’ays merité :
    Mais il n’est nul, qui ne soit incité
    A se changer, & muer de courage,
    Si foy adiouste à quelcque faulx langage.
    Et quant à moy, ie pense fermement,
    Que ne vous suis odieux aultrement,
    Sinon qu’aulcuns pleins de sens frenetique,
    Contre vertu ayants tousiours la picque,
    Vous ont remply (en mentant) les oreilles
    De plusieurs cas, & de grandes merueilles
    Touchant mon faict. Mais pas ne les croirez,
    Et ma response à cela vous oyrrez.
    Ma response est, pour le vous dire au vray,
    Que i’ay vescu iusque icy, & viuray
    Comme Chrestien, catholique, & fidelle,
    Quoy que la langue enflammée, & mezelle,
    D’aulcuns meschants, & enuieux mauldicts
    Me mette sus par ses villains mesdicts.
    Fauteur ne suis d’Heresie, ou erreur :
    Liures mauluais i’ay en hayne, & horreur :
    Et ne vouldrois ou vendre, ou imprimer
    Vng seul fueillet pour la loy deprimer
    Antique, & bonne : ou pour estre inuenteur
    De sens peruers, & contre Diev menteur,
    Si tel ie suis (comme suis pour certain)
    Croyre ne puis, que vostre cueur haultain
    (Veu le vouloir, que vous m’auez porté)
    Soit par menteurs si tres fort transporté,
    Que me laissiez en la peine, où ie suis,
    Sans m’auancer en cela, que poursuis.
    Ce, que poursuis, bien l’auez entendu.
    C’est, que vouldrois le fruict m’estre rendu
    De liberté. En cela vous sçauez,
    Que grand’ puissance, & moyen vous auez,
    Si seulement il vous plaisoit en dire
    Vng petit mot au grand Roy nostre Syre :
    Enuers lequel vous auez tel credit,
    Que de cela vous ne serez desdit.
    Or faictes doncq’, Prelat plein de prudence,
    Que sans forfaict ie ne parte de France :
    Ains que ie sois au païs retenu,
    L’honneur duquel i’ay tousiours maintenu.
    Cela faisant, vous fairez vng bien tel,
    Qu’à tout iamais vous rendra immortel,
    Testifiant vostre bonté diuine,
    Propice à touts, & à nul mal encline.
    Fin.