• Avec le concours et l’engagement des Fondations Edmond de Rothschild
  • Aux chefs de la justice de Lyon, ordinaire et seigneuriale

    Non content de m’être défendu
    Devant le roi du prétendu forfait
    Dont on m’a récemment accusé à grand tort,
    Le désir me prend, un désir aussi grand, voire plus,
    D’être lavé devant vous de l’offense
    Qu’on m’inflige, et comme il m’est avis
    Que vous me croyez vraiment coupable,
    Vu que j’ai cherché le moyen
    De m’évader de prison,
    Je veux vous prouver qu’il en va tout autrement,
    Si vous acceptez d’ajouter foi à ma démonstration,
    Sans vous montrer trop remontés contre moi.
    Voici les faits (si vous ne les connaissez,
    Ou si vous ne les avez entendus dire comme ils se sont
    [vraiment produits) :
    On a saisi dans Paris des livres,
    Les uns autorisés, les autres remplis
    De l’égarement que l’on appelle l’hérésie.
    Et parmi ces livres (d’après ce qu’on dit, pour être bref),
    Il s’en trouva sortis de mes presses,
    De bons livres, autorisés ; mais on a présumé
    Que j’avais fait envoyer à Paris l’ensemble ;
    Pour cela, j’ai été jeté en prison
    (Comme vous le savez) un peu à la légère,
    Sans véritable indice, sans preuve irréfutable,
    Ce qui est d’une rigueur bien excessive.
    Bref, j’ai été emprisonné pour cela,
    Bien qu’on n’ait détenu aucune preuve contre moi :
    Une fois l’enquête menée à bien et les recherches faites,
    On n’a pu prouver
    Que j’avais écrit la lettre qui accompagnait le chargement,
    Et le conducteur, loyal, n’a pas dit
    Qu’il avait reçu de ma part un quelconque paquet.
    Si donc c’est par haine et méchanceté
    Que quelqu’un m’a tendu ce piège répugnant et odieux,
    Est-ce une raison pour m’empêcher d’aller où bon me semble ?
    Sur ce point, je me justifierai
    Et j’ai bon espoir de prouver sans tarder
    Que pour rien au monde je ne voudrais l’avoir commis.
    Mais cependant, à dire vrai,
    Je préfère mille fois être hors de prison
    (Ne vous en déplaise)
    Que derrière les barreaux pour mener à bien mon affaire.
    Car la prison, je la connais plus qu’assez :
    J’y ai passé un hiver et un été :
    Contentons-nous de notre malheur.
    Et si je m’en suis évadé
    Pour prendre un peu l’air, je dis devant vous
    Que quiconque voudrait m’en blâmer se montrerait fort rude.
    Il est pénible de retourner trop souvent
    En un lieu ou d’y séjourner trop longtemps.
    Mais ce n’est pas pour cela que
    Je prends la plume aujourd’hui, 
    Que j’écris cette lettre
    À votre attention.
    Mon objectif principal
    Est de vous prier ardemment
    Et humblement, autant que je le puis,
    De bien vouloir, si je ne vous suis odieux en rien,
    Oublier toute haine
    Et ne pas accroître mon malheur ni ma peine ;
    D’apporter votre soutien à ma juste cause
    Pour faire en sorte que si je dois revenir à Lyon
    (Ce que j’espère, et tel est bien mon but)
    Plein de bonnes intentions et sans mauvaise pensée,
    Vous vouliez bien vous montrer aimable avec moi
    Et à l’avenir m’avoir en bonne part.
    Car Lyon est l’endroit où j’ai le plus envie
    De résider et de passer ma vie,
    Pour sa beauté et pour la qualité
    De ses demeures, les plus belles de France.
    Et je ne pense pas lui faire déshonneur
    En souhaitant y vivre heureux et tranquille,
    Profitant de la vie et sans subir de calomnie,
    Sans mal agir, sans faire de scandale.
    On sait bien, il est aisé de le savoir,
    Que la raison pour laquelle on se plaint de moi
    Et qui me vaut d’être poursuivi par la justice
    N’a aucun rapport avec quelque méfait ni quelque méchant vice
    Auquel je pourrais être sujet.
    C’est seulement que j’ai pris l’habitude
    (Sans penser à mal) depuis quelque temps
    De vendre, en français et en latin,
    Quelques livres des Saintes Écritures.
    Voilà ma faute, voilà ma forfaiture,
    Si on doit l’appeler ainsi.
    Mais s’il plaît au ROI de me faire revenir
    Et de faire en sorte que mon malheur cesse,
    Je serais heureux que le diable m’emporte,
    Qu’on me brûle ou qu’on me pende,
    Si je devais faire parler de moi pour cela.
    DIEU soit loué, j’ai d’autres moyens
    De m’enrichir et accroître mon bien,
    Sans craindre Justice qui de sa patte
    Me harcèle et m’humilie.
    En renonçant aux livres dont je parle,
    Je ne craindrai plus les envieux, les méchants,
    Je vivrai parmi les miens, heureux,
    Écrivant ou traduisant
    Des livres qui donneront du plaisir,
    Sans subir de déboire ou de désagrément.
    Pour finir, je prie le ROI des cieux
    Qu’il vous assure en cette terre
    Longue vie, santé,
    Honneurs, éloges et tout ce que vous souhaitez.

    Aux chefs de la ivstice de lyon :
    Tant en l’Ordinaire,
    qu’en la Seneschaulsé

    Content ne suis de m’estre defendu
    Envers le Roy, du forfaict pretendu
    Prochainement contre moy à grand tort.
    Desir me prend aultant grand, ou plus fort
    De me purger enuers vous de l’offense,
    Qu’on me mect sus. Et pource, que ie pense,
    Que vous croyez, que pour vray suis coulpable,
    Veu, qu’ay cherché le moyen conuenable
    Pour sortir hors de prison caultement,
    Prouuer vous veulx, qu’il est tout aultrement,
    Si à ma preuue adiouster voulez foy,
    Sans vous monstrer trop bendés contre moy.
    Le cas esl tel (si bien ne le sçauez :
    Ou si au vray entendu ne l’auez)
    Dedans Paris des Liures on a prins :
    Les vngs repceuz, & les aultres reprins
    De ceste erreur, qu’heretique l’on nomme.
    Or entre yceulx (comme l’on dict en somme)
    Il s’en trouua de mon impression
    Bons, & permis. Mais leur presumption
    Est, que le tout i’ay à Paris transmis.
    Et pour cela, en prison ie fus mis
    (Comme sçauez) vng peu à la legiere,
    Sans bon indice, & sans preuue pleiniere.
    Qui est vng cas en rigueur excessif.
    Quoy qu’il en soit, pour cela fus captif :
    Bien qu’il n’y ayt sur moy aulcune prouue.
    Car le tout quis, & cherché, on ne trouue,
    Que i’ay escript la lettre de voicture :
    Et le Chartier ne dira par droicture,
    Qu’aulcune balle il ayt de moy repceüe.
    Si doncq’ par haine, & mauluaistié conceüe,
    Quelqu’vng a faict ce cas ord, & meschant,
    Est ce raison, qu’on m’en aille empeschant ?
    Quant à cela, bien me iustifieray :
    Et ay espoir, que tost ie prouueray,
    Que ce n’est moy, dont prouient ce forfaict :
    Et que pour rien ne vouldrois l’auoir faict.
    Mais toutesfoys (à dire verité)
    I’ayme trop myeulx hors vie captifuité
    (Et de cela ne vous vueille desplaire)
    Qu’en la prison pourchasser mon affaire.
    Car en prison plus qu’asses i’ay esté :
    I’y ay passé vng hyuer, & esté.
    De mon malheur on se doibt contenter.
    Et si le hault i’ay prins, pour m’esuenter
    Quelcques petit : ie dy en cest endroit,
    Que trop rude est, qui blasmer m’en vouldroit.
    Il fasche, en fin, tant souuent retourner
    En vne place, ou trop y seiourner.
    Mais ce n’est pas, pourquoy ie vous escris :
    Ce n’est, pourquoy la plume ores i’ay pris
    Pour composer ceste presente lettre,
    Et deuers vous par apres la transmettre.
    Le principal de mon intention
    Est, vous prier d’ardente affection,
    Et humblement, tant que faire le puis,
    Que si en rien odieux ie vous suis,
    Vous vueillez mettre en oubly toute hayne,
    Et n’aggrauer mon malheur, & ma peine :
    Ains mon bon droict entre vous soustenir :
    Tant, que si doibs à Lyon reuenir,
    (Ce, que i’espere, & le pourchasse aussi)
    Et bien versant, sans aulcun mauluais si,
    Vous me vueilliez doulcement comporter,
    Et bon amour deshormais me porter.
    Car Lyon est, où i’ay le plus d’enuie
    De resider, & consumer ma vie,
    Pour la beauté, & la grande excellence
    De son pourpris, le plus beau de la France.
    Et point ne croy luy faire deshonneur,
    Quand ie desire en repos, & bon heur
    Y demeurer, bien viuant, & sans blasme,
    Sans faire mal, sans faire cas infame.
    Or on sçait bien, & bien sçauoir se peult,
    Que la raison, dont de moy on se deult,
    Et dont ie suis poursuyuy par Iustice,
    N’est pour forfaict, & aulcun meschant vice,
    Auquel ie soys par trop abandonné.
    C’est seulement, que me suis addonné
    (Sans mal penser) depuis vng temps certain,
    De mettre en vente, en François & Latin
    Quelcques Liurets de la saincte Escripture.
    Voyla mon mal, voyla ma forfaicture,
    Si forfaicture on la doibt appeller.
    Mais si au Roy il plaist me rappeller,
    Et faire tant, que de malheur me sorte,
    Ie suis content, que le Diable m’emporte,
    Ou qu’on me brusle, ou qu’on me face pendre,
    Si pour tel cas iamais tombe en esclandre.
    La grace à Diev, i’ay prou d’aultres moyens,
    Pour m’enrichir, & amasser des biens,
    Sans craindre plus la Iustice, & sa patte,
    Qui de si pres me poursuict, & me matte.
    En renonçant aux livres dessusdicts,
    Plus ne craindray les Enuyeulx mauldicts :
    Et si viuray entre les myens content,
    En composant, ou bien en translatant
    Liures plusieurs, ou lon prendra plaisir,
    Sans qu’il m’en vienne encombre ou desplaisir.
    A tant fais fin, priant le Roy des cieulx,
    Qu’il vous maintienne en ces terrestres lieux,
    Vous departant longue vie en santé,
    Honneur, & loz, & touts biens à planté.
    Fin.