Non content de m’être défendu
Devant le roi du prétendu forfait
Dont on m’a récemment accusé à grand tort,
Le désir me prend, un désir aussi grand, voire plus,
D’être lavé devant vous de l’offense
Qu’on m’inflige, et comme il m’est avis
Que vous me croyez vraiment coupable,
Vu que j’ai cherché le moyen
De m’évader de prison,
Je veux vous prouver qu’il en va tout autrement,
Si vous acceptez d’ajouter foi à ma démonstration,
Sans vous montrer trop remontés contre moi.
Voici les faits (si vous ne les connaissez,
Ou si vous ne les avez entendus dire comme ils se sont
[vraiment produits) :
On a saisi dans Paris des livres,
Les uns autorisés, les autres remplis
De l’égarement que l’on appelle l’hérésie.
Et parmi ces livres (d’après ce qu’on dit, pour être bref),
Il s’en trouva sortis de mes presses,
De bons livres, autorisés ; mais on a présumé
Que j’avais fait envoyer à Paris l’ensemble ;
Pour cela, j’ai été jeté en prison
(Comme vous le savez) un peu à la légère,
Sans véritable indice, sans preuve irréfutable,
Ce qui est d’une rigueur bien excessive.
Bref, j’ai été emprisonné pour cela,
Bien qu’on n’ait détenu aucune preuve contre moi :
Une fois l’enquête menée à bien et les recherches faites,
On n’a pu prouver
Que j’avais écrit la lettre qui accompagnait le chargement,
Et le conducteur, loyal, n’a pas dit
Qu’il avait reçu de ma part un quelconque paquet.
Si donc c’est par haine et méchanceté
Que quelqu’un m’a tendu ce piège répugnant et odieux,
Est-ce une raison pour m’empêcher d’aller où bon me semble ?
Sur ce point, je me justifierai
Et j’ai bon espoir de prouver sans tarder
Que pour rien au monde je ne voudrais l’avoir commis.
Mais cependant, à dire vrai,
Je préfère mille fois être hors de prison
(Ne vous en déplaise)
Que derrière les barreaux pour mener à bien mon affaire.
Car la prison, je la connais plus qu’assez :
J’y ai passé un hiver et un été :
Contentons-nous de notre malheur.
Et si je m’en suis évadé
Pour prendre un peu l’air, je dis devant vous
Que quiconque voudrait m’en blâmer se montrerait fort rude.
Il est pénible de retourner trop souvent
En un lieu ou d’y séjourner trop longtemps.
Mais ce n’est pas pour cela que
Je prends la plume aujourd’hui,
Que j’écris cette lettre
À votre attention.
Mon objectif principal
Est de vous prier ardemment
Et humblement, autant que je le puis,
De bien vouloir, si je ne vous suis odieux en rien,
Oublier toute haine
Et ne pas accroître mon malheur ni ma peine ;
D’apporter votre soutien à ma juste cause
Pour faire en sorte que si je dois revenir à Lyon
(Ce que j’espère, et tel est bien mon but)
Plein de bonnes intentions et sans mauvaise pensée,
Vous vouliez bien vous montrer aimable avec moi
Et à l’avenir m’avoir en bonne part.
Car Lyon est l’endroit où j’ai le plus envie
De résider et de passer ma vie,
Pour sa beauté et pour la qualité
De ses demeures, les plus belles de France.
Et je ne pense pas lui faire déshonneur
En souhaitant y vivre heureux et tranquille,
Profitant de la vie et sans subir de calomnie,
Sans mal agir, sans faire de scandale.
On sait bien, il est aisé de le savoir,
Que la raison pour laquelle on se plaint de moi
Et qui me vaut d’être poursuivi par la justice
N’a aucun rapport avec quelque méfait ni quelque méchant vice
Auquel je pourrais être sujet.
C’est seulement que j’ai pris l’habitude
(Sans penser à mal) depuis quelque temps
De vendre, en français et en latin,
Quelques livres des Saintes Écritures.
Voilà ma faute, voilà ma forfaiture,
Si on doit l’appeler ainsi.
Mais s’il plaît au ROI de me faire revenir
Et de faire en sorte que mon malheur cesse,
Je serais heureux que le diable m’emporte,
Qu’on me brûle ou qu’on me pende,
Si je devais faire parler de moi pour cela.
DIEU soit loué, j’ai d’autres moyens
De m’enrichir et accroître mon bien,
Sans craindre Justice qui de sa patte
Me harcèle et m’humilie.
En renonçant aux livres dont je parle,
Je ne craindrai plus les envieux, les méchants,
Je vivrai parmi les miens, heureux,
Écrivant ou traduisant
Des livres qui donneront du plaisir,
Sans subir de déboire ou de désagrément.
Pour finir, je prie le ROI des cieux
Qu’il vous assure en cette terre
Longue vie, santé,
Honneurs, éloges et tout ce que vous souhaitez.
Content ne suis de m’estre defendu
Envers le Roy, du forfaict pretendu
Prochainement contre moy à grand tort.
Desir me prend aultant grand, ou plus fort
De me purger enuers vous de l’offense,
Qu’on me mect sus. Et pource, que ie pense,
Que vous croyez, que pour vray suis coulpable,
Veu, qu’ay cherché le moyen conuenable
Pour sortir hors de prison caultement,
Prouuer vous veulx, qu’il est tout aultrement,
Si à ma preuue adiouster voulez foy,
Sans vous monstrer trop bendés contre moy.
Le cas esl tel (si bien ne le sçauez :
Ou si au vray entendu ne l’auez)
Dedans Paris des Liures on a prins :
Les vngs repceuz, & les aultres reprins
De ceste erreur, qu’heretique l’on nomme.
Or entre yceulx (comme l’on dict en somme)
Il s’en trouua de mon impression
Bons, & permis. Mais leur presumption
Est, que le tout i’ay à Paris transmis.
Et pour cela, en prison ie fus mis
(Comme sçauez) vng peu à la legiere,
Sans bon indice, & sans preuue pleiniere.
Qui est vng cas en rigueur excessif.
Quoy qu’il en soit, pour cela fus captif :
Bien qu’il n’y ayt sur moy aulcune prouue.
Car le tout quis, & cherché, on ne trouue,
Que i’ay escript la lettre de voicture :
Et le Chartier ne dira par droicture,
Qu’aulcune balle il ayt de moy repceüe.
Si doncq’ par haine, & mauluaistié conceüe,
Quelqu’vng a faict ce cas ord, & meschant,
Est ce raison, qu’on m’en aille empeschant ?
Quant à cela, bien me iustifieray :
Et ay espoir, que tost ie prouueray,
Que ce n’est moy, dont prouient ce forfaict :
Et que pour rien ne vouldrois l’auoir faict.
Mais toutesfoys (à dire verité)
I’ayme trop myeulx hors vie captifuité
(Et de cela ne vous vueille desplaire)
Qu’en la prison pourchasser mon affaire.
Car en prison plus qu’asses i’ay esté :
I’y ay passé vng hyuer, & esté.
De mon malheur on se doibt contenter.
Et si le hault i’ay prins, pour m’esuenter
Quelcques petit : ie dy en cest endroit,
Que trop rude est, qui blasmer m’en vouldroit.
Il fasche, en fin, tant souuent retourner
En vne place, ou trop y seiourner.
Mais ce n’est pas, pourquoy ie vous escris :
Ce n’est, pourquoy la plume ores i’ay pris
Pour composer ceste presente lettre,
Et deuers vous par apres la transmettre.
Le principal de mon intention
Est, vous prier d’ardente affection,
Et humblement, tant que faire le puis,
Que si en rien odieux ie vous suis,
Vous vueillez mettre en oubly toute hayne,
Et n’aggrauer mon malheur, & ma peine :
Ains mon bon droict entre vous soustenir :
Tant, que si doibs à Lyon reuenir,
(Ce, que i’espere, & le pourchasse aussi)
Et bien versant, sans aulcun mauluais si,
Vous me vueilliez doulcement comporter,
Et bon amour deshormais me porter.
Car Lyon est, où i’ay le plus d’enuie
De resider, & consumer ma vie,
Pour la beauté, & la grande excellence
De son pourpris, le plus beau de la France.
Et point ne croy luy faire deshonneur,
Quand ie desire en repos, & bon heur
Y demeurer, bien viuant, & sans blasme,
Sans faire mal, sans faire cas infame.
Or on sçait bien, & bien sçauoir se peult,
Que la raison, dont de moy on se deult,
Et dont ie suis poursuyuy par Iustice,
N’est pour forfaict, & aulcun meschant vice,
Auquel ie soys par trop abandonné.
C’est seulement, que me suis addonné
(Sans mal penser) depuis vng temps certain,
De mettre en vente, en François & Latin
Quelcques Liurets de la saincte Escripture.
Voyla mon mal, voyla ma forfaicture,
Si forfaicture on la doibt appeller.
Mais si au Roy il plaist me rappeller,
Et faire tant, que de malheur me sorte,
Ie suis content, que le Diable m’emporte,
Ou qu’on me brusle, ou qu’on me face pendre,
Si pour tel cas iamais tombe en esclandre.
La grace à Diev, i’ay prou d’aultres moyens,
Pour m’enrichir, & amasser des biens,
Sans craindre plus la Iustice, & sa patte,
Qui de si pres me poursuict, & me matte.
En renonçant aux livres dessusdicts,
Plus ne craindray les Enuyeulx mauldicts :
Et si viuray entre les myens content,
En composant, ou bien en translatant
Liures plusieurs, ou lon prendra plaisir,
Sans qu’il m’en vienne encombre ou desplaisir.
A tant fais fin, priant le Roy des cieulx,
Qu’il vous maintienne en ces terrestres lieux,
Vous departant longue vie en santé,
Honneur, & loz, & touts biens à planté.
Fin.