• Avec le concours et l’engagement des Fondations Edmond de Rothschild
  • Au très illustre prince
    Monseigneur le duc d’Orléans

    J’aurais honte, je devrais avoir honte,
    Ô duc, protecteur de tous les hommes de savoir,
    Si c’était par ma faute que j’en sois
    Réduit aujourd’hui
    À quémander, par la présente lettre,
    Ta faveur (dont chacun bénéficie),
    Ton soutien (que tu ne refuses à personne),
    Pour me délivrer du malheur qui me lie pieds et poings.
    Mais puisque c’est la malchance qui m’en veut,
    Je viens vers toi comme vers un homme qui peut
    La repousser et me délivrer
    Des grandes souffrances qu’elle m’impose si souvent.
    La souffrance qui est la mienne,
    [hélas, pauvre et faible homme que je suis,
    C’est que j’ai dû fuir la FRANCE,
    Sans raison, sans cause et sans avoir commis aucun méfait.
    Et pour mieux faire, je veux te raconter les faits,
    Si d’aventure tu as plaisir à écouter mon histoire :
    Sache en deux mots, ô royale progéniture,
    Que récemment ont été saisis à Paris
    (C’est ce que j’entends dire)
    Des paquets contenant des livres interdits,
    Qui ont été apportés au Parlement
    Par quelqu’un au courant de ce traquenard.
    Or parmi ces livres il y en avait certains des miens,
    (Quand je dis miens, je veux dire ceux que j’ai imprimés)
    Et pour cette raison on a présumé
    Que ces paquets venaient de chez moi.
    Voilà pourquoi on me tourmente ;
    Voilà pourquoi ces messieurs du Parlement
    Ont immédiatement demandé à Lyon
    Que je sois arrêté,
    Et c’est bel et bien ce qui m’est arrivé.
    Mais je suis aussitôt sorti de prison,
    Je n’y suis resté que deux jours et demi :
    Et j’ai bien montré que j’ai toute ma tête
    Quand il s’agit de trouver le moyen
    De quitter un endroit qui me mortifie.
    Ce n’est pas tout, prince doux et humain :
    Puisque DIEU a voulu me tenir la main
    Pour m’aider à sortir de prison,
    Je vous demande instamment de bien vouloir
    Intercéder auprès du roi, votre père,
    Pour qu’il me fasse regagner mon antre,
    Car il n’y a aucune offense,
    Ce n’est que hasard et malchance,
    Malheur aussi, qui ne se lasse jamais
    De conspirer contre moi et de provoquer
    Mille tourments, mille assauts, mille outrages,
    M’imposer mille dépenses, mille coûts et mille dommages.
    Espérant que vous accomplirez ce bienfait
    Et que vous ferez ce qui est en votre pouvoir
    [pour me mettre en lieu sûr,
    Je vous envoie un double de la lettre
    Que j’ai aussi voulu transmettre au roi.
    Vous saurez alors que je suis innocent de ce qu’on me reproche,
    Si vous avez la patience de lire mon récit :
    Je vous prie humblement d’y prêter attention
    Afin de mieux comprendre de quoi il s’agit,
    Pour en parler au roi en connaissance de cause
    Et le supplier gentiment
    De bien vouloir faire revenir son DOLET
    (Je dis son DOLET, car sans lui je ne serais plus un homme),
    Au doux pays de France
    Et l’assurer à jamais
    Qu’il pourra vivre tranquillement, loin du crime et du vice,
    Sans être sujet aux cris de la justice.
    Ce faisant, quoi qu’il en soit,
    Je prierai le Tout-puissant
    Que la fortune vous sourie – autant ou plus
    Qu’elle a souri à Jules César,
    Cet homme avisé dont les faits d’armes sont si glorieux –,
    Et qu’un jour elle vous fasse don d’un empire.

    Au duc d’Orléans en personne

    Le père ne refuse rien au fils,
    Du moment que sa requête n’est pas injuste :
    Ainsi vous pouvez, sans donner plus d’explication,
    Fort de votre grand cœur et de votre puissance,
    Adresser une supplique au roi en ma faveur
    Pour une cause juste : s’il le juge bon,
    Qu’il tire un innocent d’un mauvais pas.
    Je suis sûr qu’il vous entendra,
    Car la requête est bonne,
    Et qu’il me rendra ma liberté.

    Au tresillvstre prince
    Monseignevr le dvc d’Orleans

    Honte i’aurois, & la deburois auoir,
    (Duc, protecteur de touts gens de sçauoir)
    Si par ma faulte il estoit aduenu
    Que maintenant ie fusse reuenu
    A te prier, par la lettre présente,
    Que ta faueur (dont chascun se contente),
    Que ton support (qui à nully n’est clos)
    Me iettast hors du mal, où suis enclos.
    Mais puisque c’est Fortune qui m’en veult,
    I’accours à toy comme à celluy, qui peult
    La repoulser, & me rendre deliure
    Des grands ennuys, que tant souuent me liure.
    L’ennuy que i’ay (helas pauure chetif)
    C’est, que ie suis de la France fuitif
    A tort, sans cause, & sans aulcun mesfaict.
    Et pour le myeulx, dire te veulx le faict,
    Si à l’ouyr prend plaisir d’aduenture :
    Sache en briefs mots, Royalle geniture,
    Que dans Paris, depuis vng peu de temps
    Ont esté prins (ainsi comme i’entens)
    Certains fardeaulx de Liures defenduz.
    Qui ont esté au Parlement renduz
    Par vng, qui bien la trahison sçauoit.
    Or entre yceulx des miens il y auoit
    (I’entends des miens, de mon impression)
    Et pour cela on a presumption,
    Que ces fardeaulx sont touts venuz de moy.
    Voylà, pourquoy on me mect en esmoy :
    Voylà, pourquoy Messieurs de Parlement
    Ont à Lyon mandé subitement,
    Que fusse prins : ce que ie fus pour vray.
    Mais de prison bien tost me deliuray :
    Car ie n’y fus, que deux iours, & demy :
    Et bien monstray, que ne suis endormy,
    Quand de trouuer la maniere ie tasche
    De sortir hors d’vng lieu, où ie me fasche.
    Ce n’est pas tout, Prince doulx, & humain :
    Puisque Diev m’a voulu tenir la main
    A me tirer hors de captifuité,
    Ie vous requiers, que soyez incité
    De faire tant vers le Roy vostre pere,
    Qu’il me remette en mon premier repaire,
    Veu, que d’offense il n’y en a aulcune :
    Et que ce n’est que malheur, & fortune,
    Enuye aussi, qui ne se peult lasser
    De conspirer contre moy, & brasser
    Mille tourments, mille assaults, & oultrages,
    Mille despens, mille cousts & dommages.
    En esperant, que ce bien me fairez,
    Et que me mettre en seurté tascherez,
    Ie vous enuoye vng double de la lettre,
    Que i’ay aussi au Roy voulu transmettre.
    Là congnoistrez de mon faict l’innocence,
    Si de l’ouyr auez la patience.
    Ce que vous pry humblement, vouloir faire,
    Affin que myeulx entendiez mon affaire,
    Pour en parler au Roy plus seurement,
    Et le prier affectueusement,
    Que son Dolet (son Dolet ie me nomme :
    Car sans luy seul, ie ne fusse plus homme)
    Rappeller vueille au doulx païs de France,
    Et (pour tousiours) luy donner asseurance :
    En bien viuant, sans forfaict, & sans vice,
    Qui soit subiect aux abboys de Iustice.
    Cela faisant (& sans cela aussi)
    L’Omnipotent ie requerray icy,
    Qu’aultant que fut Iules Cesar heureux,
    Grand en conseil, en faicts cheualeureux,
    Aultant, ou plus, vous soyez fortuné,
    Et quelcque iour, d’ung Empire estreiné.
    Fin.

    Au Duc d’Orléans mesmes

    Le pere au fìlz rien ne refuse,
    Si sa requeste n’est iniuste :
    Parquoy vous pouuez (sans excuse)
    D’ung cueur magnanime, & robuste
    Prier le Roy, de chose iuste
    En ma faueur : tant, qu’il luy plaise
    Tirer l’innocent de malaise.
    Ie suis seur, qu’il vous enstendra
    (Car la requeste n’est mauluaise)
    Et ma liberté me rendra.